Viens visiter ma cave à vin clandestine

Vous avez visité une distillerie, croisé un bouilleur ambulant... Vous pouvez nous parler de l'Histoire éthylique avec un grand H et des petites histoires qui gravitent autour, n'hésitez pas, postez vos reportages!
Avatar du membre
Soldat Louis
Maître distillateur
Messages : 638
Enregistré le : vendredi 16 mars 2012 17:21
Localisation : BZH

Viens visiter ma cave à vin clandestine

Message non lu par Soldat Louis »

(C'est le titre de l'article, et en aucun cas une invitation à venir déguster mes Chateau Cauna et autre Saumur Champigny)

Courrier international | n° 1123 | du 10 au 16 mai 2012
Qui a dit que les Iraniens ne buvaient pas ? L’alcool, prohibé par le régime islamique, est pourtant consommé – et souvent fait maison.
Tehran Bureau New York


« Nous allons l’appeler le Tehrooni[Téhéranais] », lance Reza avec un sourire, en levant dans la lumière un verre de son vin de fabrication maison. Ce breuvage est d’un violet léger, étrange, et forme un léger dépôt. C’est le premier lot que Reza a tiré dans sa salle de bains en sous-sol. Il en est très fier. Un vin sucré, mais savoureux. Reza a acheté le raisin, le meilleur qui soit, dans un verger de Qazvin. Le propriétaire distille lui aussi son propre cru.
La consommation d’alcool est illégale en Iran. Elle est passible de peine de prison ou de flagellation, et peut même être punie de mort. Mais on ne s’en douterait guère à voir le nombre de buveurs.
Reza a une trentaine d’années, il travaille dans le secteur privé, n’est pas marié et vit avec ses parents. Il fait des économies pour s’acheter un verger et monter sa petite affaire clandestine. D’ici là, il se contentera de son sous-sol et du doux liquide qu’il distille dans un en semble de cuves et de bouteilles, dissimulées dans des endroits sombres. Il est loin d’être le seul à se livrer à ce passe-temps. A l’autre bout de Téhéran, dans un autre salon, Arpad, la cinquantaine, nous propose une mixture rouge violacée qu’il a produite le mois précédent. On est en plein jour, mais l’heure ne fait rien à l’affaire. “On ne boit pas uniquement la nuit : c’est l’Iran, tout est possible !” dit-il dans un éclat de rire, se servant un verre. Une curieuse pellicule blanche se dépose à la surface. Là encore, la saveur est un peu écœurante. Arpad appelle cela du Chiraz et se lance dans une tirade sur les origines de cette ville et de ses célèbres vignes.
Sahar est une candidate improbable au titre de meilleure productrice de vin de Téhéran. Elle a plus de 75 ans. Elle a arrêté de se teindre les cheveux il y a longtemps et a dit adieu aux années où elle travaillait dans la fonction publique. Aujourd’hui, elle habite dans le nord de Téhéran, où elle peut parler à ses plantes et distiller son alcool illégal en paix. Son vin fait l’envie de ses amies à cheveux gris. Elle sort une petite bouteille qui contenait autrefois du cognac. Sahar l’a remplie de vin à ras bord. Son étiquette est usée et porte des traces de doigts poisseux. “Vous voyez, commence-t- elle à expliquer, on laisse entrer l’air, et la bouteille doit être parfaitement propre. Si on ne fait pas ça, on obtient du vinaigre.” Entre sa retraite et son veuvage paisibles, c’est ce dont elle est le plus fière – un savoir-faire avec lequel ses amies ne peuvent pas rivaliser. Quand elles s’y essaient, elles obtiennent du vinaigre.
Distiller de l’alcool dans un pays où tout est mamnoo [interdit] est une affaire très rentable. En ces temps de crise économique où les prix s’envolent, y compris ceux de l’alcool de marque au marché noir, ceux qui passent leurs week-ends à distiller des alcools bon marché ont trouvé un débouché commercial inattendu.
Le problème de tout secteur illégal, c’est la réglementation – ou plutôt l’absence de réglementation. Le commerce illicite est fondé sur la confiance. On achète à quelqu’un qu’on connaît, qui lui-même se fournit auprès d’une connaissance, et ainsi de suite. En somme, quelqu’un qui ne va pas vous vendre un alcool frelaté, bourré de produits chimiques ou de poison. Et quelqu’un qui ne va pas vous dénoncer à la police.
L’aragh est l’alcool le moins cher. Elaboré à partir de fruits locaux, il affiche 40° à 50° [et se boit coupé d’eau]. Mais on prend des risques en l’achetant, surtout si la chaîne de confiance est rompue. Pendant les fêtes de Nowrouz [fêtes du nouvel an iranien, en mars], on a appris qu’une jeune femme était morte en faisant la fête avec ses amis à Chomal – dans le Nord, près de la mer Caspienne. Ils avaient bu de l’aragh acheté à un vendeur inconnu. A Téhéran, on trouve des alcools importés, notamment des marques aussi connues que Johnnie Walker ou Smirnoff. Mais ils coûtent cher et sont parfois frelatés – soit coupés d’eau, soit remplacés par des alcools de faible qualité, parfois dangereux.
Dans son sous-sol, Reza replace le vin sur son étagère. Il repose dans une vieille bouteille de scotch, entre des bouteilles contenant des fonds de rhum Malibu et de Johnnie Walker Blue Label. Reza s’explique sur ses motivations, qui vont au-delà de son amour du vin et du potentiel commercial de son activité de bouilleur de cru. “C’est illégal, mais si ça ne l’était pas je ne passerais pas tant de temps à faire quelque chose d’aussi difficile”, commente-t- il. Puis, avec un brin de fierté nationaliste, il ajoute : “Les Iraniens font du vin depuis plus longtemps que le reste du monde. A l’époque, les Français vivaient encore comme des barbares.” Et de conclure, l’air effronté : “On dit que l’énergie nucléaire, c’est notre droit. Eh bien, faire du vin, c’est le mien !”

__________________

Vin de Mecque
Le Canard Enchaîné, mercredi 16 mai 2012
"Violet léger, étrange" ou "rouge violacé", avec cette "curieuse pellicule blanche qui se dépose en surface", le vin iranien mûrit clandestinement dans les sous-sols, les salles de bains et les recoins sombres du pays. Comme le raconte le média indépendant "Tehran Bureau", cité par "Courrier International" (10-16/5), "distiller et vendre de l'alcool dans un pays où tout est interdit est une affaire très rentable". Mais aussi très codifiée. Ainsi, "on achète à quelque qu'on connaît, qui lui-même se fournit auprès d'une connaissance, et ainsi de suite", afin de n'être ni dénoncé à la police, ni empoisonné par un breuvage inconnu.
Défiant la flagellation, la prison, ou même la mort, les vignerons de l'ombre et les bouilleurs de crus improvisés font de belles affaires. Et leur alcool maison - comme l'aragh, éthanol fruité à 50° - fait le bonheur des fêtes dévoilées.
"C'est illégal, mais, si ça ne l'était pas, je ne passerais pas tant de temps à faire quelque chose d'aussi difficile", s'amuse Reza, bistrotier de sous-sol. Et aussi: "On dit que l'énergie nucléaire, c'est notre droit. Eh bien, faire du vin, c'est le mien".
Il chambre les mollahs ?
Les règles sont le carcan des fous et l'appui des sages.

Les avis, c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un.
Avatar du membre
jeremyladouble
Maître distillateur
Messages : 2905
Enregistré le : dimanche 10 juillet 2011 8:49
Localisation : Haute Bretagne

Re: Viens visiter ma cave à vin clandestine

Message non lu par jeremyladouble »

Il y a aussi (entre autre) l' excellente scène de vinification dans la baignoire des parents de Marjane Satrapi dans Persepolis (la BD)
Bonum vinum laetificat cor hominis.
(tu aurais pu mettre cette info dans "tourisme et histoire")
Etiamsi omnes ego non
Avatar du membre
Soldat Louis
Maître distillateur
Messages : 638
Enregistré le : vendredi 16 mars 2012 17:21
Localisation : BZH

Re: Viens visiter ma cave à vin clandestine

Message non lu par Soldat Louis »

Effectivement... à déplacer svp !
Les règles sont le carcan des fous et l'appui des sages.

Les avis, c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un.
Répondre