Histoires de trafics.

Vous avez visité une distillerie, croisé un bouilleur ambulant... Vous pouvez nous parler de l'Histoire éthylique avec un grand H et des petites histoires qui gravitent autour, n'hésitez pas, postez vos reportages!
Pheudebwa
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Histoires de trafics.

Message non lu par Pheudebwa »

Bonjour les « gnoleux ».
En propos liminaire je précise qu’il ne s’agit nullement de faire la critique ou l’apologie du « commerce » de gnôle il s’agit juste de raconter des histoires comme on feuillette un roman. Donc pisses vinaigre et autres gôbiers passez votre chemin vous n’avez pas de place ici.
Il me revient en mémoire quelques anecdotes du temps d’avant.
L’alcool issu de la distillation de l’eau de vie de pommes… que d’aucun en Normandie appelle communément « calva » ou « goutte » à toujours généré des profits. Alors si au début il s’agissait simplement d’assurer la production « familiale » l’appât du gain prit rapidement le dessus.
Les dividendes générés par ce « commerce » (celui qui a dit trafic sort…) étaient fabuleux et se comptait en millions de francs (anciens).
La proximité de la région parisienne et des grands centres industriels de la vallée de Seine permettant un échange discret et surtout des temps de trajets courts.
Mais pour faire du commerce (illégal ou légitime) il faut produire…
Les pommiers du bocage normand sont célèbres… nos amis qui ont fait un peu de tourisme dans la région après le débarquement du 6 juin ont bien apprécié…
Après le « lochage » des pommes… ah oui en Normandie on utilise le terme de « locher » pour désigner l’action de secouer les branches des pommiers avec une longue perche.
On les ramasses et on les entreposes avant de les broyer et presser.
Les pressoirs à vis en bois ont tous fini en pied de table ou en lampadaires.
Les vis métal et le cliquet pour presser eux ou quatre poutres les ont avantageusement remplacé.
Le broyât de pommes est étalé en couches successives séparées par des gerbes de paille d’avoine. Le tout monté bien carré. Sans entourage. Puis plus tard on utilisera les toiles plus faciles à manipuler que la paille.
Donc on presse et le jus mordoré s’écoule dans la ruelle puis dans un grand bac d’où il sera puisé pour être mis en tonneaux….
Mais attention à la plaisanterie… le paysan matois fait goûter le jus. … un délice et on en reprend tellement c’est gouleyant…
Et puis les deux jours suivant on regrette… car il n’y a rien de plus laxatif… une courante… bien entendu j’ai fait l’expérience… et il m’a été impossible de boire du cidre pendant plus de quinze ans sans déclencher un tsunami intestinal…
Donc après avoir mis le jus en tonneau… on laisse faire la nature.
Les « bourbes » c’est à dire les déchets vont se déposer au fond du tonneau et formera la « lie ». On met une planchette sur la bonde et la transformation du sucre en alcool va se faire naturellement… il se dit que le cidre « bout » il se forme une mousse qui va se coller à la planchette… on surveille régulièrement et lorsque la mousse ne colle plus on pèse…. Entre 1014 et 1018…. Là le cidre est bon à soutirer.. mais attention à la lune… premier quartier descendant… on regarde l’almanach de la poste et…
Ouf c’est plus que les 200 mots.
Alors j’arrête et on reprends plus tard.
Et comme ils disent sur le plateau de Caux entre Rouen et Le Havre…. Boujou bien.
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hubeert
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Re: Histoires de trafics.

Message non lu par hubeert »

cool cette histoire.

Ca veut dire quoi presser (D)eux ou quatre poutres? c'est le correcteur ? foudre ?
La ruelle c'est quoi ?
Merci pour ton partage
Pheudebwa
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Re: Histoires de trafics.

Message non lu par Pheudebwa »

Bonjour les Gnoleux…
Alors à la demande générale voici un petit glossaire.
Les poutres décrites dans le texte sont des troncs de chêne d’environ un mètre de longueur et de 40 cm par 40 cm. Pour les mesures impériales je vous laisse faire…
Lorsque les couches de broyât de pommes et de paille… ou les couches de toiles étaient empilées à hauteur convenable on posait dessus les poutres pour faire un plateau sur lequel venait se positionner le système à cliquet qui servait à faire la pression.
On serrait un peu et on attendait que le jus arrête de couler.
Puis on recommence jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de jus dans le « Marc » de pomme.
Le plateau au milieu duquel on trouvait la vis du pressoir comportait une rigole ou un petit canal dans lequel coulait le jus qui était conduit jusqu’à une goutiere qui canalisait le jus vers le récipient qui recueillait le jus avant qu’il soit mis en tonneaux.
Les Foudres étaient de grands tonneaux dans lequel on stockait le jus ou le cidre en attendant la consommation ou la distillation…
Pheudebwa
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Re: Histoires de trafics.

Message non lu par Pheudebwa »

Donc lorsque la fermentation du jus de pommes avait atteint le degré d’alcool on avait deux options… la première c’est le soutirage et la mise en bouteille… ou le soutirage et la mise en foudre (environ 700 l… pour les galons je vous laisse faire)
Pour ce qui est du soutirage pour la mise en bouteille on attendait l’heure indiquée sur l’almanach…
On avait pris la précaution de récupérer toutes les bouteilles « champenoises » (qui servent pour le champagne… verre et fond plus épais…) possible de les nettoyer et désinfecter… on les mettait à sécher le goulot vers le bas sur des égouttoirs en forme de sapin.
Donc le jour venu plutôt le soir venu après avoir dégusté un poule au blanc arrosé du cidre de l’année dernière et un café avec une goutte. On se dirige vers le bâtiment où sont entreposés les tonneaux.
Je ne vous raconte pas l’odeur et fruits mûrs et l’odeur de ces bâtiments…
Et on commence à soutirer le cidre avec un tuyau en plastique vert… (là pas d’explication… le plastique vert c’est tout … non mais…)
On remplit les bouteilles en deux ou trois fois pour ne pas gâcher. Puis avec un bon bouchon que l’on a fait bouillir dans du cidre on bouche et on pose le muselet… (le petit chapeau en fil de fer qui maintient le bouchon en s’appuyant sur le col de la bouteille…
Ensuite on pose les bouteilles sur une claie en mettant une couche de paille entre les couches de bouteilles… (des fois qu’il y en ait une qui casse… ça sert de tampon et les autres ne cassent pas.
Bon… 700 l de jus dans des bouteilles de 75cl. Je vous laisse faire la division… quand on finit le coq n’est pas loin de chanter.
Un café avec une goutte et au lit pour une courte nuit. Tant pis on fera la sieste…
Allez c’est bon pour aujourd’hui.
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monvindefruits
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Re: Histoires de trafics.

Message non lu par monvindefruits »

Vu les propos de notre excellent (ra)conteur, si un jour on faisait une réunion FSG, nous pourrions la faire en Occitanie.
Ce n'est pas "feu de tout bois" qui me contredira...

Bonne soirée
Pheudebwa
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Re: Histoires de trafics.

Message non lu par Pheudebwa »

Bonjour les Gnoleux…
Comme tous les retraités je suis occupé à faire mille choses… et donc pas toujours le temps pour écrire.
Une réunion en occitanie… pourquoi pas… ici on distille beaucoup mais c’est de l’industrie… donc pas pour nous les obscurs les sans grades les beusogneux. Avec des mains calleuses et le cuir tanné par le soleil… les yeux bleus tout délavés… holà… bijou on se calme on est pas là pour poeter ou digresser sur la condition paysanne dans les basses terres de la septimanie…
( Bijou c’est le nom d’un cheval et l’expression Holà c’est pour lui dire de s’arrêter)
(La Septimanie c’est le nom de la Gaule Narbonnaise…)
(Gaule et Narbonne… j’explique ou tout le monde a compris ? )
Donc nous revenons à notre bocage normand…
Vous vous souvenez que nous avions pressé les pommes broyées pour en extraire la quintessence… mais on en a pas fini. Le normand n’aime pas gaspiller… aussi on fait une repasse… on mouille les marc de pommes et hop on presse à nouveau et on obtient « la boisson ». La « repasse » comme ils disent. Un jus moins sucré qui donnera un cidre moins alcoolisé. On le réserve pour les journaliers qui viendront à la ferme pour les moissons.
Il faut dire que ces hommes font un travail dur. Il m’a été raconté à la veillée qu’ils buvaient en moyenne une douzaine de litres de « bère » (nom du cidre issu le la repasse) C’est dire si le métier était pénible et la sueur coulait à flot…
Ce hommes ne se plaignaient pas mais si la « boisson » n’était pas à leur goût… avec une « repasse » trop arrosée par un « maître » un peu trop près de ses sous… ils savaient se servir…
Dans le bâtiment il y avait les tonneaux et les foudres où l’on gardait le cidre (pur jus) pour la consommation des « maîtres » et la réserve pour la bouillotte… (l’alambic)
Donc lorsque les ouvriers étaient mécontents, ils repéraient les tonneaux de « bon » et la nuit ils faisaient un trou dans le torchis de la grange. Ils allaient percer un petit trou à l’arrière du foudre et se régalaient de cidre.
Je vous raconte pas la tête du maître quand il se rendait compte qu’au cours de la saison, environ un mois, les ouvriers avaient siphonné 700 l de cidre…
Cela paraît incroyable que l’on puisse boire autant…
Surtout que ces hommes de peines ne « faisaient pas leur café » à l’eau de la marre et que la goutte devait titrer… il n’était pas rare que la consommation de « calva » soit d’un litre par homme et par semaine.
Ah que nos pères étaient heureux…
Donc à l’automne la bouillotte se rendait de ferme en ferme pour « bouillir »
L’homme « bouilleur de cru » était connu pour son sérieux et sa ponctualité… il avait son circuit et ses habitudes… En effet certains ne distillaient pas toujours du bon et passer derrière eux donnait parfois un mauvais calva… j’explique… l’alambic est un assemblage de cuivre… certaines cuves sont assemblées en imbricant les plaques de cuivres. On faisait de petites entailles sur les bords de la plaque pour faire des languettes que l’on soulevait ou abaissait (une sur deux) puis on les assemblait en les martelant… après le travail de mise en forme on « soudait » les tuyaux à l’étain.
Donc pour lancer la bouillotte c’était un processus un peu délicat car une chauffe trop violente pouvait endommager l’appareil.
Donc notre bouilleur allumait son foyer et il l’entretenait tout au long de la campagne. Il laissait toujours un fond de cidre dans la bouillotte entre deux « clients » Donccsi vous passiez derrière un gôbier qui faisait du mauvais cidre, vous ramassiez son fond de cuve.
L’ami bouilleur arrive donc dans la cour de la ferme. Après avoir salué le maître et la maîtresse il allait s’installer… croyez-moi on
Ne le mettait pas en vitrine… on lui trouvait une place bien à l’abri des regards soupçonneux des voisins et d’autres yeux plus intéressés par le degré d’alcool obtenu… les gabelous ou les contrôleurs des « indirects » ceux qui taxent.
Et oui depuis longtemps les impôts ont fondu sur tout ce qui génère profit… donc taxe sur les alcools.
Mais revenons au pied de la bouillotte… on charge le foyer avec des bûches de bois de fruitier pour avoir un feu qui dure. On remplit la cuve avec le cidre et on vérifie que le liquide de refroidissement est au bon niveau. On remplissait la cuve d’alimentation avec du cidre. Celui-ci servait au refroidissement du serpentin. Le cidre chaud allait ensuite dans la bouillotte où il bouillait.
Et en avant. L’alcool sortait et se déversait dans une coupelle où flottait le pèse alcool… on ouvrait ou fermait le débit de vapeur pour ajuster le débit.
Un liquide transparent sortait et portrait le nom de « petite eau ». Ça titrait fort et il fallait un gosier étamé pour en avaler. Moi ça n’a pas pu franchir mes lèvres.
Certains faisaient une double distillation…
Le calva s’écoulait ensuite dans un bidon avant d’être mis au tonneau.
Il y avait deux bidons sous la bouillotte… un avec de l’eau et l’autre avec le calva… au cas que les douaniers fassent un contrôle… on donnait un coup de pied dans le bidon de calva et hop plus moyen de contrôler … il ne restait que de l’eau
« C’est pour rincer la bouillotte… »
Ouf ça fait beaucoup… boujou bien
Pheudebwa
Apprenti
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Enregistré le : lundi 23 janvier 2023 11:55

Re: Histoires de trafics.

Message non lu par Pheudebwa »

Bonjour les Gnoleux…
Comme tous les retraités je suis occupé à faire mille choses… et donc pas toujours le temps pour écrire.
Une réunion en occitanie… pourquoi pas… ici on distille beaucoup mais c’est de l’industrie… donc pas pour nous les obscurs les sans grades les beusogneux. Avec des mains calleuses et le cuir tanné par le soleil… les yeux bleus tout délavés… holà… bijou on se calme on est pas là pour poeter ou digresser sur la condition paysanne dans les basses terres de la septimanie…
( Bijou c’est le nom d’un cheval et l’expression Holà c’est pour lui dire de s’arrêter)
(La Septimanie c’est le nom de la Gaule Narbonnaise…)
(Gaule et Narbonne… j’explique ou tout le monde a compris ? )
Donc nous revenons à notre bocage normand…
Vous vous souvenez que nous avions pressé les pommes broyées pour en extraire la quintessence… mais on en a pas fini. Le normand n’aime pas gaspiller… aussi on fait une repasse… on mouille les marc de pommes et hop on presse à nouveau et on obtient « la boisson ». La « repasse » comme ils disent. Un jus moins sucré qui donnera un cidre moins alcoolisé. On le réserve pour les journaliers qui viendront à la ferme pour les moissons.
Il faut dire que ces hommes font un travail dur. Il m’a été raconté à la veillée qu’ils buvaient en moyenne une douzaine de litres de « bère » (nom du cidre issu le la repasse) C’est dire si le métier était pénible et la sueur coulait à flot…
Ce hommes ne se plaignaient pas mais si la « boisson » n’était pas à leur goût… avec une « repasse » trop arrosée par un « maître » un peu trop près de ses sous… ils savaient se servir…
Dans le bâtiment il y avait les tonneaux et les foudres où l’on gardait le cidre (pur jus) pour la consommation des « maîtres » et la réserve pour la bouillotte… (l’alambic)
Donc lorsque les ouvriers étaient mécontents, ils repéraient les tonneaux de « bon » et la nuit ils faisaient un trou dans le torchis de la grange. Ils allaient percer un petit trou à l’arrière du foudre et se régalaient de cidre.
Je vous raconte pas la tête du maître quand il se rendait compte qu’au cours de la saison, environ un mois, les ouvriers avaient siphonné 700 l de cidre…
Cela paraît incroyable que l’on puisse boire autant…
Surtout que ces hommes de peines ne « faisaient pas leur café » à l’eau de la marre et que la goutte devait titrer… il n’était pas rare que la consommation de « calva » soit d’un litre par homme et par semaine.
Ah que nos pères étaient heureux…
Donc à l’automne la bouillotte se rendait de ferme en ferme pour « bouillir »
L’homme « bouilleur de cru » était connu pour son sérieux et sa ponctualité… il avait son circuit et ses habitudes… En effet certains ne distillaient pas toujours du bon et passer derrière eux donnait parfois un mauvais calva… j’explique… l’alambic est un assemblage de cuivre… certaines cuves sont assemblées en imbricant les plaques de cuivres. On faisait de petites entailles sur les bords de la plaque pour faire des languettes que l’on soulevait ou abaissait (une sur deux) puis on les assemblait en les martelant… après le travail de mise en forme on « soudait » les tuyaux à l’étain.
Donc pour lancer la bouillotte c’était un processus un peu délicat car une chauffe trop violente pouvait endommager l’appareil.
Donc notre bouilleur allumait son foyer et il l’entretenait tout au long de la campagne. Il laissait toujours un fond de cidre dans la bouillotte entre deux « clients » Donccsi vous passiez derrière un gôbier qui faisait du mauvais cidre, vous ramassiez son fond de cuve.
L’ami bouilleur arrive donc dans la cour de la ferme. Après avoir salué le maître et la maîtresse il allait s’installer… croyez-moi on
Ne le mettait pas en vitrine… on lui trouvait une place bien à l’abri des regards soupçonneux des voisins et d’autres yeux plus intéressés par le degré d’alcool obtenu… les gabelous ou les contrôleurs des « indirects » ceux qui taxent.
Et oui depuis longtemps les impôts ont fondu sur tout ce qui génère profit… donc taxe sur les alcools.
Mais revenons au pied de la bouillotte… on charge le foyer avec des bûches de bois de fruitier pour avoir un feu qui dure. On remplit la cuve avec le cidre et on vérifie que le liquide de refroidissement est au bon niveau. On remplissait la cuve d’alimentation avec du cidre. Celui-ci servait au refroidissement du serpentin. Le cidre chaud allait ensuite dans la bouillotte où il bouillait.
Et en avant. L’alcool sortait et se déversait dans une coupelle où flottait le pèse alcool… on ouvrait ou fermait le débit de vapeur pour ajuster le débit.
Un liquide transparent sortait et portrait le nom de « petite eau ». Ça titrait fort et il fallait un gosier étamé pour en avaler. Moi ça n’a pas pu franchir mes lèvres.
Certains faisaient une double distillation…
Le calva s’écoulait ensuite dans un bidon avant d’être mis au tonneau.
Il y avait deux bidons sous la bouillotte… un avec de l’eau et l’autre avec le calva… au cas que les douaniers fassent un contrôle… on donnait un coup de pied dans le bidon de calva et hop plus moyen de contrôler … il ne restait que de l’eau
« C’est pour rincer la bouillotte… »
Ouf ça fait beaucoup… boujou bien
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