Bonjour, Audrey,
Je vais essayer de synthétiser le sujet des levures.
Ici, je n’aborderai que les types de levure, pas leur réhydratation, pas les facteurs de survie, etc.
1) Petit rappel de base
La levure est un micro-organisme.
C’est un champignon unicellulaire de forme variable, capable d’utiliser diverses molécules organiques, en particuliers des glucides pour en tirer de l’énergie par respiration ou fermentation, grâce à un équipement enzymatique spécifique. Dans la nature, ce sont les seuls organismes capables de transformer le sucre en éthanol. Elles se multiplient par bourgeonnement. C'est l'activité chimique des levures qui provoque le dégagement de bulles de gaz carbonique
De nombreux peuples, tels que les Égyptiens, Babyloniens ou Celtes, l’utilisaient pour la fabrication de boissons fermentées, du pain, du kéfir, du vin et de la bière de fermentation haute. Cette espèce (Saccharomyces cerevisiae) a été découverte, isolée et identifiée au milieu du XIXe siècle par des brasseurs hollandais à la demande de la corporation des boulangers parisiens qui commençaient à industrialiser leur production et cherchaient pour leur pain un procédé de fermentation plus fiable et plus rapide que leur levain traditionnel.
On les connaît comme les levures à pain, les levures à bière et les levures à vin.
Voici qq exemples :
Dekkera bruxellensis (fermentation spontanée ~ lambic)
Brettanomyces (Téléomorphe Dekkera)
Candida (dont Pichia, Metschnikowia, Issatchenkia, Torulaspora et Kluyveromyces)
Kloeckera (téléomorphe Hanseniaspora)
Saccharomycodes
Schizosaccharomyces
Zygosaccharomyces
Aureobasidium (en particulier l'espèce Aureobasidium pullulans)
Saccharomyces bayanus, beticus, fermentati, paradoxus, pastorianus, uvarum, carlsbergensis, cerevisiae (avec des milliers de souches différentes).
Ces levures sont innombrables : on les classe par grandes familles et dans chaque famille, il existe des dizaines, des centaines, voire des milliers de type différent. Or, chacune de ces levures a un profil de travail différent et donnent des résultats gustatifs terriblement différents.
2) Les progrès de la microbiologie à la suite des travaux de Louis Pasteur ont conduit à améliorer la connaissance des levures.
On peut distinguer les espèces selon leur forme (rondes, allongées apiculées ou en forme de citron ), leur aptitude à former un dépôt ou un voile, leur mode de conservation (sporogène ou asporogène), leur capacité à fermenter les sucres, leur rendement en alcool, leur possibilité à se multiplier dans un milieu de plus en plus alcoolisé, leur capacité à élaborer des produits secondaires de fermentation, leur aptitude à s'adapter à des températures plus ou moins hautes (certaines espèces s'adaptent mieux aux températures basses de 12°C à 15°C mais ont en général un très mauvais rendement en sucres)...
Toutes ces recherches ont permis l’établissement de cartes d’identité oenologique de chaque levure. Pour les professionnels, tous les grands labos vendant des levures les mettent à disposition de leurs clients. Voici l’exemple de la Davis 522. On la vend sous pas moins de 8 noms commerciaux.
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Ces souches ont été testées en laboratoire afin de déterminer leur vigueur, leur tolérance au dioxyde de soufre et à l'alcool, leur niveau de production d'acide acétique et de composés soufrés, leur capacité à refermenter (positif pour les vins effervescents, mais négatif pour les vins en vendange tardive), leur capacité à développer un voile de surface sur le vin (positif pour certains styles de Xérès mais un attribut négatif pour de nombreux autres vins), leur aptitude à améliorer la couleur du vin ou certaines caractéristiques variétales par des enzymes contenus dans les cellules de levure et par d'autres produits métaboliques produits par la levure, leur tendance à la floculation et à la formation de mousse, leur propriété levuricide (un trait connu sous le nom « tueur de levure ») et leur tolérance aux carences nutritionnelles dans un moût susceptible de conduire à une fermentation bloquée. Bref, on sait exactement où l’on va avec ces levures sélectionnées.
Les producteurs sérieux de levures établissent des fiches techniques de leurs produits. Ce sont ces renseignements que transmettent les revendeurs. Notons le désagréable comportement de la firme Arauner Kitzinger qui a presque un monopole de fait auprès des amateurs avec ses petits sachets jaunes. En effet, contactée par mes soins, elle refuse de donner le nom technique à la place du nom commercial (ex : Bourgogne). On ignore donc les caractéristiques de leurs levures. Merci pour nous.
Voici tout ce qu’on peut savoir de la part de Kitzinger :
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Une fois que l’industriel s’adresse à l’amateur, nous n’avons plus de fiches techniques.
Quel manque de respect de l’amateur en vins de fruits !
3) Que peut-on acheter ?
Une fois bien identifiée, une variété de levure jugée intéressante va être mise en culture. Autrement dit, on va l’élever et la multiplier pour en faire profiter les viticulteurs.
Les levures sélectionnées sont mises à disposition des utilisateurs sous forme de levain.
Il existe plusieurs présentations
levain liquide,
levures en crème,
levures en pain,
levures lyophilisées,
levures sèches actives (LSA).
A notre niveau, il ne reste que 2 présentations utilisées.
a) Certains utilisent du levain liquide, surtout s’ils habitent près un producteur. Un sachet de 100 ml de levure liquide pure suffit à fabriquer 50 litres de vin. La durée de conservation d'un sachet est de 6 mois au réfrigérateur.
b) Les levures sèches actives ou LSA se présentent sous forme de granules dans un sac hermétique de 5 gr (voire 500 gr ou 1 kg pour les pros).C’est une levure naturelle sélectionnée. Sa durée de conservation est plus importante si vous respectez les valeurs ci-dessous.
Conservation des LSA :
Entre 4-10°C : plusieurs années
Entre 20-25°C : plus d'une année
Ouvert : 1-2 jours entre 4-10°C
Ne jamais stocker au dessus de 35°C
Ce sont des levures d’une race bien déterminée à usage précis, leur culture s’est faite dans les laboratoires spécialisés. Il en existe différentes sortes et dans chaque sorte, il y a encore différentes espèces. En aucun cas, une levure sélectionnée est une levure manipulée génétiquement (transgénique). C'est une levure 100 % naturelle mais simplement triée, sélectionnée puis reproduite en une grande quantité. Attention, si la base est naturelle au sens de provenir de la nature, la manière de cultiver, de nourrir ces levures en industrie peut être chimique ou avec des aliments naturels. A côté de cela, ne nous leurrons pas, il existe aussi des manipulations génétiques mais qui ne me semblent pas être sur le marché. Le public européen n'est pas prêt. Un petit exemple concret: les producteurs d'apéritifs (un vin à 20 -24% d'alcool) ont en stock une levure qui peut monter jusqu’à 24% (plus besoin de muter leurs vins à l'alcool = économie).
Avantages des LSA.
Elles supportent dans la plupart des cas une dose légère de sulfite et de produits phytosanitaires.
Elles n’apportent pas de gouts secondaires désagréables comme c’est le cas avec plu-sieurs levures sauvages.
Elles fermentent rapidement et complètement les sucres des fruits et les sucres industriels.
Tolérance assez large vis-à-vis de l’alcool. D’une souche de levure à l’autre, cette tolérance peut varier considérablement. De nombreux vinificateurs choisissent des levures qui s’arrêtent de travailler dès 14° d’alcool atteints.
Production de peu d’huile de fusel (alcools supérieurs) et d’acide acétique.
Suivant la variété, formation plus ou moins prononcée de glycérol qui apporte plus de rondeur au vin.
4) Différences entre levures sélectionnées et sauvages.
En comparaison des levures inoculées, ces levures ambiantes présentent un risque de fermentation plus imprévisible. Non seulement cette imprévisibilité pourrait inclure la présence de faux goûts et d'arômes désagréables et une acidité volatile plus élevée, mais également la possibilité d'une fermentation bloquée si les souches de levures indigènes ne sont pas suffisamment vigoureuses pour convertir tous les sucres complètement.
Diverses variétés de levures sauvages naturelles se retrouvent sur la peau des fruits. Elles passent dans le jus lors du pressage. Cela explique la fermentation spontanée de ce même jus mis à la chaleur. Malheureusement, elles ne développent pas toutes des caractéristiques identiques ; les unes montant plus haut en alcool, les autres démarrant plus tardivement ou attaquant d’autres sucres, etc.
Dans la nature on rencontre les levures dans le sol et sur les plantes, sur tous les fruits. Ils sont généralement vecteurs de levures indigènes variées, notamment d'autres souches de Saccharomyces , et d'autres genres, comme les Kloeckera apiculata et Candida vini, Pichia, Brettanomyces, etc. Mais ces levures appelées "sauvages" ne conviennent pas toujours à la fabrication de nos vins de fruits car elles sont souvent accompagnées de bactéries qui pourraient transformer nos vins en vinaigre. De plus, nous ignorons leurs capacités à transformer le sucre en alcool. C’est pourquoi je recommande l’usage de levures sélectionnées pour les nouveaux vinificateurs. Par après, avec de l'expérience, vous pourrez passer aux levures spontanées.
Que se passe-t-il au cours de la fermentation spontanée ?
Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, la fermentation spontanée n’est pas une course de relais . On observe un nombre important de souches différentes (5 à 20), qui varient au cours de la fermentation et d’une année à l’autre. Les souches minoritaires sont rarement présentes plus d’un jour ou deux et en faible proportion. De ce "pool", émergent progressivement une ou deux souches dominantes. L’évolution des caractéristiques analytiques globales des vins obtenus par fermentation spontanée suit celle de la proportion de la souche dominante, notamment en ce qui concerne le degré alcoolique. Immédiatement après débourbage, se développent différentes espèces de levures apiculées et oxydatives ne produisant que très peu d’alcool : Kloeckera, Candida, Metschnikowia…Après quelques jours, ces espèces sont supplantées par le genre Saccharomyces qui assure la plus grande partie de la fermentation alcoolique. Les espèces oxydatives peuvent cependant réapparaître de manière sporadique à l’occasion de diverses opérations de vinification (remontage, aération, chaptalisation…). Par contre, les souches minoritaires ne sont pas présentes de manière suffisamment significative, tant en durée qu’en proportion, pour imprimer concrètement leur organoleptique.
Avoir plusieurs souches (spontanées) complexifie-t-il le futur vin ?
Après des travaux en labo de plus de 30 ans, le réponse est NON ! Le seul impact mesuré de l’augmentation du nombre de Saccharomyces différentes est l’allongement de la durée de la fermentation vraisemblablement par concurrence entre les souches pour la nourriture. En raison du développement précoce de Kloeckera apiculata, la fermentation spontanée s’accompagne d’une augmentation de l’acidité volatile (+86% en moyenne) et de la teneur en acétate d’éthyle (+908% en moyenne) par rapport à une fermentation induite. Les autres risques et défauts sont la production importante de SO2, l’apparition de goût de réduit, la désacidification, l’apparition de mauvais goûts (Brettanomyces), la production importante d’éthanal et la formation d’écume. Si les fermentations spontanées peuvent souvent se dérouler sans problème, dans environ 30% des cas on assiste à des fins difficiles et languissantes. Ces situations sont difficiles à corriger et ont souvent des conséquences négatives sur le potentiel aromatique des vins. Contrairement à l’inoculation des LSA, l’utilisation des levains indigènes ne permet pas d’obtenir une bonne reproductibilité de la flore des moûts inoculés et donc une constance de qualité dans les vins. La fermentation spontanée n’est bien entendu pas responsable de tous les problèmes susceptibles de se présenter, mais constitue un risque qu’il convient de bien calculer et de prendre en connaissance de cause.
5) Il faut donc bien choisir sa levure sous peine de rater son vin.
La levure pain est faite pour le pain.
Les levures bière sont bien adaptées pour la bière.
Pour des vins, on choisit des levures pour vins.
Cela peut sembler exagéré mais ne l’est pas dans la réalité. Sans être chimiste, vous pouvez vérifier par vous-mêmes beaucoup d'éléments que j'ai cités dans ce post. Comme moi, faites quelques expériences simples pour en être convaincus.
L'expérience qui est reproduite ici a été faite, voici 15 ans, chez moi sur deux jus de pommes de mon verger : Jacques lebel et reinette étoilée. Le travail a consisté à broyer les fruits de chaque type pour en faire du mout. La moitié de chaque mout a été pasteurisé pour tuer les levures sauvages naturelles.
Chaque mout est versé dans une petite tourie. Des L.S.A. sont rajoutées dans l'un des deux récipients de chaque variété, l'autre renferme le moût avec ses levures naturelles.
Les mouts sont amenés à la fermentation par des conditions identiques de chaleur, etc. Ensuite, j’ai fait 5 prélèvements à différents moments.; Ces résultats sont synthétisés sur le tableau qui suit.
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En conclusion, on remarque que les L.S.A. (D et C) sont plus efficaces, car elles accélèrent la fermentation par rapport aux levures naturelles et arrivent à des taux d'alcool sensiblement plus élevés.
Le type de levure que vous choisirez influencera la qualité de votre vin mais ne transformera jamais un jus de cerise en Bourgogne. Néanmoins, il peut être intéressant pour l’amateur de tester différentes levures avec un même jus.
Un autre test (création de 2 hydromels) que j’ai fait pour une formation hydromel de novembre 2021. Avec une même base dans des conditions identiques, on remarque bien que les 2 levures utilisées (riesling et champagne) ont des comportements tout à fait différents. Outre les pointillés vert et rouge, il y a une ligne bleue : c'est la température de fermentation. Ici, grosse catastrophe ! Mon thermostat a rendu l'âme au début et j'ai du jouer avec un autre système durant qq jours, le temps que mon nouveau arrive. Bref, les levures ont mis un peu plus de temps à démarrer mais tout s'est bien terminé.
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Par contre, une même levure sur 2 jus de fruits différents a grosso modo la même évolution lors de la fermentation alcoolique.
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Où acheter et quand ?
Je recommande vivement ce grossiste qui est bien moins cher que Brouwland, même si le choix est un peu plus limité.
www.bmswijndepot.com
Perso, si vous achetez par correspondance, ne le faites jamais en été car les fortes chaleurs peuvent tuer vos levures.
Pour terminer, voici quelques tableaux (sans doute incomplets )avec les levures disponibles sur le marché et les pauvres renseignements fournis par les firmes.
PS. La firme Arauner Kitzinger s'est fait taper sur les doigts par l'Europe selon les dires de Marc, le patron de BMS. Du coup, la 1/2 des levures LSA de chez eux n'est plus en vente (sauf sous forme liquide). Les indications que la firme donne changent suivant que la même levure est vendue liquide ou sèche !!! Cherchez l'erreur !
Par contre, une nouvelle firme polonaise (Browin)vend maintenant ses levures avec le même nom que l'ancienne gamme de Kitzinger. Ne serait-ce pas simplement les allemands de Kitzinger qui ont mis leurs billes en Pologne ? Merci donc pour le respect des clients amateurs.
PS. Marc m'a avoué qu'en tant que grossiste belge, il ne parvenait pas à obtenir la moindre info sur les levures chez Kitzinger. Ils font vraiment très fort.
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